Dix ans après la première rencontre entre Valeska Steiner et Sonja Glass, qui a semé les graines qui donneraient un jour naissance à BOY, peu de choses ont changé. Enfin, à une bagatelle près : des dizaines de milliers de disques vendus, plusieurs années passées à sillonner le monde et un paquet de somptueuses récompenses. À les voir, toutefois, on ne se douterait pas qu’elles aient connu un tel succès. Bien qu’elles aient toujours tendance à s’accorder des moments songeurs d’intense réflexion, chacune continue à finir les phrases de l’autre avec un petit rire complice, contagieux, et ce sont au fond toujours les deux mêmes femmes enthousiastes, charmantes et drôles qu’elles étaient quand elles ont publié leur premier album, Mutual Friends, en 2011.

Il y a beaucoup de choses remarquables chez ce duo charismatique, mais la façon dont elles ont toutes deux gardé les pieds sur terre, alors que leur étoile montait au firmament, est rafraîchissante. Leur nature modeste mais charmante est à l’image de la musique de WE WERE HERE, le deuxième album très attendu de BOY, une brève et vive rafale de mélodies délicieuses, de savoir-faire parfaitement assuré et de grâce espiègle. Ses éclaboussures de douceur ensoleillées, contrebalancées par le bien être réconfortant d’une mélancolie douce-amère, confirment la tendresse lovée au cœur de chansons dont la simplicité semble en apparence facile, de l’hymne tapageur « Fear » au cliquetis fragile de « Flames », en passant par l’onirique et ravissant « Into The Wild », le jovial et taquin « Machines », le nostalgique « Hotel » ou la sombre splendeur de « We Were Here ». Mais leur modestie est trompeuse : le naturel décontracté de Steiner et Glass dissimule une détermination à écrire des chansons qui durent, des compositions racées où chaque note participe à la beauté de l’ensemble. C’est ce qui explique leur silence pendant toute l’année 2014. Quand elles sont finalement revenues, à la fin de l’année dernière, de leurs expéditions internationales destinées à promouvoir leur musique, elles ont décidé d’écrire un disque qui serait à la hauteur de la magie candide du premier, voire même qui l’éclipserait.

WE WERE HERE voit BOY déployer ses ailes, explorer de nouvelles textures et de nouvelles approches musicales tout en restant fidèle à son esthétique. Formé deux ans et demi après la rencontre entre les deux femmes – une fois que Steiner a quitté sa ville natale de Zurich, en Suisse, pour déménager à Hambourg, où Glass a grandi – le groupe a passé un certain temps à trouver sa voix. Les deux musiciennes se rendaient dans la voiture de la mère de Steiner à des concerts sans pression particulière, partout où on les demandait, avant que Groenland Records ne les signe en 2011. Douze mois après la sortie de Mutual Friends, elles jouaient en tête d’affiche au Stadtpark de Hambourg, qui peut accueillir 4000 personnes. Les deux années suivantes ont été passées à jouer des chansons comme « Little Numbers » et « This Is The Beginning » devant des publics fascinés, un peu partout dans le monde, et leur ont attiré les louanges de magazines comme Rolling Stone, le New York Times et Filter, ce dernier les décrivant comme « aussi pétillantes avec les joues aussi roses que n’importe quel gosse espiègle ».

Les fans seront soulagés d’apprendre que la méthodologie fondamentale de BOY est restée la même que pour WE WERE HERE : Glass écrit des musiques qu’elle passe à Steiner, qui travaille sur les textes et les mélodies avant qu’elles ne peaufinent ensemble les chansons, faisant ensuite appel au producteur Philipp Steinke pour ajouter un troisième point de vue, afin de les aider à donner le meilleur d’elles-mêmes et même à se dépasser. Mais, bien que les guitares feutrées qui caractérisaient en partie leur premier album soient toujours présentes, il est clair que, comme le dit Glass, « on voulait évoluer, créer quelque chose qui aille un peu plus loin, mais toujours dans notre direction ». L’achat d’un synthétiseur Juno lui a fourni l’impulsion de départ de cette évolution. « Il est devenu ma muse », se souvient-elle. « Sinon, on a utilisé quasiment les mêmes instruments, mais en se débrouillant pour les faire sonner différemment. »

Alors que la plupart des groupes pourraient ressentir le poids d’une certaine attente face au « difficile deuxième album », la seule pression qu’ont connue Steiner et Glass est venue de leur propre désir de progresser. Leur côté perfectionniste et leur amour des petits détails les ont poussées, sur plusieurs titres, à expérimenter différents arrangements, et elles se sont ensuite donné du temps « pour trouver la meilleure façon d’habiller les chansons », dit Steiner. « On travaillait tout le temps, toutes les deux. On n’était pas toujours au studio, mais on écrivait en permanence, ensuite on allait en studio pendant deux ou trois semaines, puis on recommençait à écrire. » Elles ont voyagé entre Hambourg, Berlin, la campagne allemande et l’Italie, mais bien que l’album soit à l’arrivée plus richement produit, le processus n’a pas été tout à fait aussi glamour qu’il en a l’air. « On se sent très à l’aise dans des petits endroits où on peut vivre et cuisiner », dit Steiner, avant que Glass ne précise : « On emmène tout notre matériel avec nous et on se contente de louer un petit appartement ».

Au début de l’année 2015, leur approche méticuleuse a payé. Tout aussi exquis que Mutual Friends, WE WERE HERE est un album d’une profondeur et d’une sophistication renouvelées, qui conserve toutes les qualités qui ont rendues BOY si spécial, notamment la capacité de Glass à émouvoir avec une subtile modulation et son don pour les arrangements épurés, complétés de façon appropriée par les textes directs et touchants de Steiner. Cet album voit les deux musiciennes mettre en valeur leur sensibilité caractéristique, en évoquant par exemple l’intrusion des problèmes d’un compagnon dans une relation de couple sur le rush en cascade de « Fear » et sur l’automnal « Flames » – dont le texte, exceptionnellement, a été écrit par Glass – tandis que l’optimisme à la fois prudent et magnétique du subtilement tissé « Into The Wild » et la fragilité séduisante de « Rivers Or Oceans » explorent l’excitation et l’anxiété qui imprègnent les décisions difficiles.

Par ailleurs, « Hit My Heart » (sur lequel Thomas Hedlund, de Phoenix, tient la batterie, comme il le faisait sur plusieurs titres de Mutual Friends) se moque gentiment d’une culture contemporaine faite de selfies et d’angoisse existentielle déversée sur les réseaux sociaux – un monde « all covered in exclamation marks » [couvert de points d’exclamation]. Alors qu’elles désirent ardemment « a wave of heat that hits the heart » [une vague de chaleur qui vous frappe en plein cœur], la mélodie sautille de façon joviale entre d’insouciantes cordes pincées sur un rythme enjoué. Et même si « Hotel » (la seule chanson écrite avant la retraite de BOY en 2014) imagine avec bienveillance les vies mystérieuses et isolées de ceux qui passent leur temps à voyager – sans jamais avoir recours aux clichés rebattus de « la vie sur la route » – elle est contrebalancée par la fanfaronnade de « No Sleep For The Dreamer », qui détaille le frisson d’une première rencontre qui pourrait changer votre vie. Idem pour la joyeuse célébration de la vie qu’est le morceau titre, avec sa déclaration provocatrice selon laquelle le temps n’efface jamais la marque que nous laissons les uns sur les autres ou sur le monde en général : « We won't ever disappear/ We were here/ It was really love » [Nous ne disparaîtrons jamais/ Nous étions là/ C’était vraiment de l’amour].

Et puis il y a « New York », dont les lignes de guitare complexes et brillantes fournissent l’accompagnement idéal aux paroles touchantes de Steiner – avec son vers clé, « Anywhere with you could be New York » [N’importe où avec toi pourrait être New York] – qui parlent de retrouver les plaisirs offerts par son entourage immédiat. C’est une illustration poignante du pouvoir de transformation de l’imagination de BOY, mais aussi des liens forts qui unissent Steiner et Glass. Ensemble, en dépit de leurs réussites et de leurs aventures, les deux femmes sont encore liées au monde qui les a inspirées à l’origine, ce qui leur permet de rester en contact avec les petites choses qui nous émeuvent tous et qu’elles ont toujours très bien su identifier et exprimer. Même le fait de partir en tournée, plaisante Glass, c’est comme « un grand truc de vacances. On joue toujours avec les mêmes musiciens, ils font partie de nos meilleurs amis et en plus l’équipe qui nous entoure n’a pas changé, elle non plus ».

Ainsi, non seulement WE WERE HERE confirme la réputation acquise par BOY avec Mutual Friends, mais il souligne encore plus le don précieux du groupe pour l’écriture de chansons intimement détaillées qui parlent aux hommes et aux femmes, des hommes et des femmes, des moments singuliers et pourtant universels de nos vies. Exactement comme la chanson qui donne son nom à l’album parle des merveilles que l’existence peut nous offrir, et à quel point le fait de chérir certains souvenirs peut maintenir le passé en vie. Tout ceci s’applique bien sûr aux deux musiciennes de BOY elles-mêmes, et aux chansons qu’elles écrivent. Et si elles sont évidemment trop humbles pour le dire elles-mêmes, elles reconnaissent néanmoins, comme le chante Steiner, que « Our echoes resonate » [Nos échos résonnent].