Rares sont les artistes qui peuvent prétendre renouveler les genres et transcender les barrières musicales. Delador est l’un d’eux.

La première chose qui frappe quand on écoute Delador, c’est cette capacité à dépasser les critères habituels : si sa fougue est celle de la jeunesse, sa maturité et son timbre de voix laissent à penser que l’on a affaire à un artiste déjà très expérimenté. La vérité se trouve, comme souvent, entre deux. Le jeune âge de l’artiste importe peu, contrairement à ses années d’expérience, qui lui confèrent un statut assez paradoxal : s’il serait aisé de le taxer de débutant, car son historique discographique personnel est resté vierge, la maturation de son identité musicale est frappante.
Une situation qui ne doit rien au hasard, puisque Delador s’est très longtemps interdit de livrer au public ses propres morceaux, tant qu’il n’avait pas atteint un niveau satisfaisant : « je voulais arriver avec un produit travaillé, pour qu’on n’ait pas besoin de me dire d’aller le retravailler ». Au sein d’une scène rap privilégiant chaque jour un peu plus la quantité à la qualité, la démarche contraste avec la tendance globale : plutôt que d’imposer une quantité effroyable de titres quelconques dans l’optique de gaver ses auditeurs, Delador privilégie le travail d’orfèvre. Ambitieux, le chanteur veut se donner les moyens de faire passer un cap à la musique française, en unifiant les genres et en permettant au rap de dépasser ses limites actuelles. Alors qu’il devient toujours un peu plus difficile de trouver des artistes originaux, à l’identité forte et à la présence vocale naturelle, son style complètement neuf représente une forme de mise à jour pour le milieu rap. Déterminé à faire bien plus que ce que l’on pourrait attendre d’un simple rappeur, Delador a passé les dernières années à travailler son style, ajuster sa voix, améliorer sa technique vocale, et augmenter sa tessiture. Devenu un artiste complet, il peut ainsi associer aujourd’hui une parfaite maitrise du chant avec de réelles qualités de rappeur.
Derrière cette volonté d'upgrader le niveau du rap français, Delador veut également démontrer qu'il est encore possible aujourd'hui de miser sur la performance, en studio comme sur scène, suivant l'exemple de ses modèles : Mickaël Jackson, James Brown ou encore Franck Sinatra. De véritables légendes du monde de la musique, qui ont marqué l'histoire de leur art par leur génie, mais aussi par leurs méthodes stakhanovistes, preuve que le talent se cultive et ne peut se transformer en succès sans travail. Un perfectionnisme et un goût de l'effort qui constituent la base de la carrière que Delador entend construire : de son respect envers la musique découle une relation de confiance avec son public, conscient des sacrifices nécessaires avant de parvenir à un style musical si abouti.
Adepte d’un rap protéiforme, aussi bien inspiré par le rock ou la pop que par les sonorités trap les plus récentes, Delador livrera prochainement son premier projet en solo. Un album prodigieusement complet, construit comme la démonstration des différents registres dans lesquels excelle le chanteur : parfois très street, parfois carrément sentimental, voire sensuel, on découvre un artiste tourmenté, luttant contre ses propres démons et assumant ses responsabilités face aux différentes épreuves de la vie – y compris les plus terribles. Impressionnant de maitrise quel que soit le style emprunté, Delador s’amuse à apporter sa propre touche à tous types de sonorités. Que ce soit sur les beats trap composés par Mac Mani, et sur lesquels il prouve qu’il est pleinement apte à prendre toute la mesure du chant tiraillé sous autotune, ou sur des prods plus chantantes orchestrées par Doprun, sur lesquels il rivalise sans peine avec les plus grands noms de la chanson française actuelle, on sent Delador parfaitement capable de maitriser toutes les ambiances, et de tirer son art vers le haut.
Cette direction artistique éclectique semble taillée sur mesure pour l’autoproclamé « hitmaker », dont la forte personnalité assure le liant entre les différentes ambiances, et permet à l’album de se déployer au fil des écoutes, libérant ses qualités au fur et à mesure et évitant l’effet très périssable de la plupart des disques actuels. Difficile d’oser le classer dans la case « rappeur » ou dans la case « chanteur », puisqu’il a finalement réussi là où beaucoup ont échoué : à force d’expérimentations et d’efforts, Delador a crée son propre créneau, singulier, inimitable et reconnaissable entre mille. S’il est plutôt rare qu’un premier album se révèle aussi mature et abouti, c’est bien que Delador a fait les bons choix en sachant attendre le bon moment pour allumer les projecteurs après tant d’années de travail dans l’ombre. Tout est en place, il ne lui reste plus qu’à entrer dans la lumière.