“ Return to the sphinx through the waves of illusion
Follow the wanderer crossing the gate
Shades are calling for a dance of diffusion
Travel the world that the watcher creates “

Lisez le texte qui se trouve à l’intérieur du troisième et dernier LP de Jacco Gardner. C’est une analogie qui est tirée d’une citation de Nietzsche : « Il y a des yeux différents. Même le sphinx a des yeux : par conséquent, il y a plusieurs vérités et par conséquent il n’y a pas de vérité. »

La citation est enveloppée d’un mystère et d’une dualité, il y a un sentiment de changement et d’exploration, qui est emblématique de ce que Jacco a développé musicalement au cours de ces dernières années. Recroquevillé à Lisbonne avec un nouvel amour dans sa vie, Jacco raconte : « Je pense que bouger à Lisbonne a joué une grande part dans l’album, cette ville à quelque chose de très mystique. Spécialement dans la vieille ville, mais aussi du fait des collines sur lesquelles la ville est construite, errer à travers les rues est semblable à errer dans la nature. »

Le résultat de l’album n’est pas nécessairement ce qui est représentatif des nouvelles sonorités que Gardner a trouvées en bidouillant mais plus une représentation de ses pensées et de ses rêves pendant qu’il marchait dans les rues ; de ce qu’il a pensé des livres qu’il a lu et de ses ressentis du monde qu’il a essayé de mettre en musique. Jacco Gardner s’est fait connaitre en créant une pop psychédélique tourbillonnante, accompagné de sa voix baroque et résonnante, mais sur son troisième album « Somnium », les voix ont disparu et à la place on trouve une exploration mélodique homogène et instrumentale avec une touche cosmique, qui fait penser à la science-fiction.

« Somnium » est un hommage à la nouvelle du même nom écrite en 1608 par Johannes Kepler, et connu pour être une des premières nouvelles de science-fiction. « Ce livre me fascine parce c’est un voyage à travers l’esprit et l’univers de Kepler, un monde non-existant, où Kepler décrit son voyage avec de nombreux détails. Beaucoup de ses sensations imaginées se produisent vraiment en réalité lorsque l’on voyage dans l’espace, avec ce qui arrive aujourd’hui, 400 ans plus tard après qu’il l’ait décrit dans sa nouvelle. On pourrait appeler ça une vision du futur à travers ses rêves et je trouve cet aspect très mystérieux et puissant. »

Cette forme de voyage mental est ce que Jacco a essayé de créer avec des sonorités particulières et une alchimie palpable. D’où la raison de laisser les voix de côté pour ce voyage spirituel. « J’ai délibérément enlevé ma voix de cette expérience, ce qui a été le plus difficile pour moi c’était de me mettre dans cet état d’esprit. Je pense que ça rend le voyage beaucoup plus intéressant, plus profond et plus intime. Je n’ai pas ressenti le besoin de montrer mon visage pendant que nous nous évadions mentalement « Somnium » est une expérience utopique. L’album est plus qu’un trip, il traite du contact avec la réalité profonde et cachée. »
Si les concepts derrière ce disque ont l’air mystiques et semblent tissés entre eux, alors Jacco a aussi réussi en faisant un album qui sonne de cette façon aussi. Les synthés analogiques fredonnent et planent au-dessus de tout, les lignes de basse tintent gaiement, des atmosphères denses se construisent et les mélodies viennent et repartent légèrement, flottant dans l’espace autour de nous. Il y a des références aux pionniers de ces explorations musicales cosmique – Bohansson, Vangelis, Cluster, Tangerine Dream, Eno et Oldfield (l’album a été masterisé par Simon Heyworth qui a travaillé avec trois de ces artistes) – mais le disque existe aussi comme une poursuite futuriste, un album qui explore aussi bien le futur que le passé. C’est parce que pour Jacco les deux sont valables. « Le passé m’a toujours paru vivant, et rempli de mystère que j’en ai conclu que le présent et le futur ne devaient pas être très différents. ».

Vivant maintenant à Lisbonne et immergé dans la littérature, le cinéma, la philosophie et avec de nouvelles rues sinueuses dans lesquelles errer, le scenario idéal de Gardner est de prendre ce nouvel album pour votre propre errance, de l’écouter en entier et sans interruption. « Somnium peut être vu comme un tribute au format « album », un format en train de mourir aujourd’hui dans notre société qui consomme tout ultra rapidement. Il peut souvent être difficile d’apprécier un important moment ininterrompu. Cet album offre le vrai mystère et l’étonnement qui ne demandent qu’à être découverts. »