Entre blues du bayou et folklore haïtien, les refrains intenses d’une
chanteuse engagée.
Les titres qui composent A Day for the Hunter, A Day for the Prey (littéralement « Un
jour pour le chasseur, un jour pour la proie ») sont directement inspirés de mon
expérience personnelle de fille d’immigrants haïtiens et de ma vie en Louisiane.
Mon identité haïtienne est très forte mais mon « américanéité » est tout aussi
indéniable. À différentes périodes de ma vie, ce chevauchement d’identités a
créé en moi un conflit déstabilisant. Quand j’ai quitté New York pour m’installer en
Louisiane, j’ai trouvé quelques échos de mon héritage culturel dans les rues de La
Nouvelle-Orléans : des noms familiers sur les pierres tombales, les parades de
fanfares dans les rues, les haricots rouges et le riz (entre autres !). J’y ai également
trouvé une culture très riche que je pourrais faire mienne et, à travers mes origines,
j’ai ressenti une connexion très forte avec la musique et la culture louisianaises.
Le titre de l’album m’est venu à la lecture d’un livre de Gage Averill du même
nom, lui-même tiré d’un proverbe haïtien qui fait référence aux nombreux liens
entre la politique, la musique et le pouvoir en Haïti au XXème siècle. L’auteur
évoque un genre de chanson né dans les années 1990, dans le sillage de la crise
des réfugiés haïtiens : les boat people chantaient les peurs et les péripéties de leur
périlleux voyage en mer jusqu’aux États-Unis. Voilà ce qui m’a inspiré la chanson
qui donne son titre à l’album : j’ai essayé d’imaginer comment on en arrive à
prendre une décision aussi difficile et de comprendre comment l’absence de
choix peut infléchir l’orientation de toute une vie.
Je me suis de plus aperçu que ces mouvements massifs de populations à travers
terres et mers se produisent depuis des centaines d’années et que de nombreux
événements peuvent pousser les gens à quitter leurs foyers originels pour chercher
une terre d’accueil. L’histoire de la Louisiane en est par bien des aspects un
exemple, depuis l’arrivée des colons français et espagnols jusqu’à la venue des
Acadiens, des Créoles, des esclaves mais aussi des Américains. La fondation de la
Louisiane est liée de manière inextricable à la révolution haïtienne qui a donné
naissance à la première nation noire indépendante en Occident. Les différentes
vagues de population vers cette région remontent à des centaines d’années, ce
qui fait que d’un point de vue créatif, la musique traditionnelle, ses mélodies
anciennes et sa forte tradition orale étaient un point de départ tout trouvé pour
explorer musicalement certaines de ces thématiques.
Pour cet album, la sagesse du proverbe A Day for the Hunter, A Day for the Prey
m’a aidée à comprendre l’histoire et la culture de Haïti, mais aussi de la Louisiane
et des États-Unis. Quand les fondements des systèmes politiques et des
gouvernements se délitent au point même de se retourner contre leurs citoyens, le
monde devient sans pitié et chacun cherche à sauver sa peau. Mes chansons
illustrent cette lutte, posent la question de notre humanité et font écho à la
recherche d’une vie digne d’être vécue en dépit de circonstances parfois
contraires. Tantôt chasseur, tantôt chassé…
Leyla McCalla