“Je crois que personne ne s’attendait à cela, une pièce musicale de 25 minutes, qui ne soit pas un successeur à No Deal, ou autre chose qu’une suite de nouvelles chansons. J’ai suivi ce que la musique m’a dit, comme une demande viscérale. Un lien qui ensuite, s’est révélé attaché aux villes post-industrielles, ces lieux où l’on redécouvre maintenant les termes d’un espoir inattendu. Manchester, Detroit, Bilbao ou Charleroi, la ville où j’ai passé mes dix-huit premières années”.

Pour comprendre la gestation de Blackened Cities, il faut en dévoiler la méthode de production. Mélanie : « Je travaille avec une équipe de trois à dix personnes, des artistes choisis de longue date -certains depuis plus de quinze ans– qui ont développé le même rapport au silence et à cette forme d’improvisation dans « la présence et non dans la note ». Chaque soir, nous montons sur scène sans savoir quel va être le voyage, tout au plus savons-nous comment débuter les morceaux, nourris de quelque idées d’arrangements : tout est à réinventer à chaque concert. La set list est créée une heure avant la performance et sert d’abord à rythmer le développement de la soirée. J’ai peur de fossiliser le vivant, la musique nous émeut quand elle vit en nous, quand elle est en phase ».

Mélanie De Biasio parle de Blackened Cities, comme d’un enfant un peu mystérieux qui s’apprivoise avec le temps. De fait, la rhapsodie qui déroule son écume pendant près d’une demi-heure mousseuse, dépasse le format chanson. L’orgue en coulées continues, les grondements volcaniques des basses, les claviers venteux, tous introduisent patiemment Mélanie et sa voix si belle aux graves charnels. Avant qu’aux alentours de la quatrième minute, la batterie n’emmène l’ensemble au chant spoken word, et à sa propre histoire libératoire : “If you feel a breeze it might be me/I might pass this way to set you free”. Crescendo têtu d’une mélodie répétée ad libitum, jusqu’à ce que la voix s’éteigne, pareillement à la musique. Une sensation ? Le prix de la liberté. Une caresse qui s’autorise des traces.

Blackened Cities roule et gonfle, à la fois d’une sensation physique et d’un itinéraire intime. Comme ce jour bruxellois d’automne 2014 où, entre quatre murs, l’impro se construit sur la surprise. Mélanie reprend une bouffée de silence et ajoute : “ Quand le flûte rentre, quand on monte ou que l’on descend, quand je commence le chant, tout est improvisé. La post-production a été minimaliste, tout ou presque, tient dans ce moment collectif d’un après-midi d’automne…”. Après, ce qui ne pourrait être qu’un long instant de grâce, s’avère enregistré et finit dans l’Ipod de Mélanie. La nuit, en marchant dans Bruxelles ou alors en cruisant la ville à vélo, la musique défile et lui donne une certitude : elle doit lui trouver un destin.

« Comme disait Brian Eno, il y a de telles semences partout, cela dépend ou elle est née, et ce qu’on lui donne comme futur. Cette semence dorée, enregistrée dans ce studio un jour d’octobre, aurait bien pu rester dans l’ombre, mais quand je l’ai entendue, j’ai su que je devais la mettre en lumière, lui donner toute sa dimension. Elle est partie d’un pari impossible, une plage de 25 minutes, mais la musique peut repousser les limites de la bienséance et heureusement, laisser encore place au rêve ».