Il y a un revers au succès, reconnaît Noel Gallagher.

“On sort des disques depuis environ quinze ans. On pourrait penser, vu l’expérience acquise, qu’on se contente d’arriver comme des fleurs en studio et qu’on sait comment tout va se passer. Mais ça n’a jamais été le cas, du moins pas pour nous. C’est même tout le contraire. C’est à chaque fois un nouveau défi.”

Chaque nouvelle grande œuvre – et Don’t Believe The Truth [2005] en était une – ne sert qu’à mettre la barre un peu plus haut, en termes d’attente du public. Dans le cas d’Oasis, qui nous a habitué à attendre trois ans la publication de chaque nouveau disque, ceci est renforcé par le fait que chaque nouvel album a tendance à être accueilli comme un come-back.

 

Toute appréhension au sujet de la qualité de ‘Dig Out Your Soul’ disparaît au bout de quinze secondes d’écoute du premier titre, ‘Bag It Up’, typique du genre unique de rock’n’roll ‘électrocuté’ pratiqué par le groupe. Il y a une vivacité âpre, arrogante et exubérante dans beaucoup de ces morceaux, notamment ‘The Shock Of The Lightning’, une de ces chansons qui a le don de vous faire tout arrêter – à la première, deuxième ou cinquantième écoute – quoi que vous fassiez. Le groupe sonne comme s’il s’amusait vraiment et son exubérance est contagieuse.

“‘The Shock of the Lightning’ et ‘Bag It Up’”, dit Noel, “ont en fait toutes deux été écrites en studio. Si ‘The Shock of the Lightning’ vous paraît spontanée et fascinante, c’est parce qu’elle a été écrite très rapidement. Et enregistrée très rapidement. Tout de suite, on s’est dit: ‘putain: tu sais quoi, c’est vraiment bon.’ Je dirais que c’est probablement la chanson la plus spontanée qu’on ait jamais eu sur un disque. Parce que généralement, j’écris une chanson, j’en fais une démo, puis je l’écoute pendant des mois. Et ensuite je la trafique. Alors que ‘The Shock of The Lightning’, fondamentalement, c’est la démo. Et elle en a conservé l’énergie. Et je pense que c’est très intéressant à bien des égards. La première fois que vous enregistrez quelque chose est toujours la meilleure.”
 
Dans un film anglais de 1961, une comédie du nom de Raising The Wind, des étudiants en musique, interprétés par Kenneth Williams et Leslie Phillips, reçoivent un cours sur les ingrédients clés nécessaires à la composition de chansons populaires. “Maintenant, retenez bien ça,” leur dit leur professeur. “Il faut faire ceci: couplet, refrain; couplet, refrain; passage astucieux; couplet, refrain. Mais jamais deux passages astucieux. Sinon ça ne marche pas.”

‘Dig Out Your Soul’, peut-être plus que n’importe quel autre album précédent d’Oasis, s’écarte de l’approche orthodoxe de l’écriture d’une chanson. “J’ai consciemment pris la décision,” dit Noel, “de ne pas écrire ce qu’on pourrait appeler des Chansons avec un C majuscule. Je voulais écrire de la musique qui ait un groove; pas des chansons qui suivraient ce schéma traditionnel de couplet, refrain et pont. Je voulais un son qui soit plus monotone, plus hypnotique; plus entraînant. Des chansons qui vous emmènent dans une direction différente. Des chansons qui vous fassent ressentir quelque chose. Et c’est peut-être la plus grande progression par rapport à ‘Don’t Believe The Truth’”.

Ceci caractérise presque tous les morceaux de ce CD, et tout particulièrement la magnifique composition de Gem Archer, ‘To Be Where There’s Life’.

‘Dig Out Your Soul’, ai-je suggéré à Gallagher, marque une rupture dans l’histoire d’Oasis à bien d’autres titres. Là où Definitely Maybe [1994] et (What’s The Story) Morning Glory [1995] étaient essentiellement de formidables explosions non maîtrisées dues à des jeunes garçons, on a ici affaire à un album fait par des hommes. Les textes de cette collection soigneusement assemblée, particulièrement ceux des chansons les plus lentes, sont plus profonds, à la limite de la noirceur. “Je ne dirais pas que les paroles sont sombres sur un plan personnel,” dit Noel, “mais dans le sens où elles abordent le monde tel qu’il est aujourd’hui. Ça ne sert à rien de se comporter comme si on avait 24 ans quand on en a 40. En réécoutant les mixes terminés, je me disais qu’il y était beaucoup question de Dieu. Et des anges. Et des démons. Toutes sortes de références Bibliques. Qui sait d’où ça vient…”

“Vous vous attaquez aux grandes questions sur ce disque,” ai-je suggéré à Noel, “Comme sur le deuxième titre,
 ‘The Turning’; un curieux mélange d’espoir et de désillusion”. “Je pense que le monde est arrivé à un point critique; comme un élastique : soit il va casser net, soit les gens vont revenir à la raison. Il n’y a que ces extrêmes. Et ‘The Turning’ parle plus ou moins de… quel espoir avons-nous de nous ressaisir; quel espoir avons-nous de rattraper le coup?”

Ce CD est à la fois profond (‘Waiting For The Rapture’), malicieusement retro [‘(Get Off Your) High Horse Lady’ a ses racines dans le High Heel Sneakers de Tommy Tucker] et plein d’une vie à couper le souffle: ‘The Shock Of The Lightning’, peut-être la chanson d’Oasis la plus ‘conventionnelle’ de l’album et le premier single envoyé en radio, est absolument stupéfiante.
 
 
L’album se termine sur une chanson merveilleusement sobre et étrangement lancinante titrée ‘Soldier On’. Elle me fait penser à une version 2008 de ‘Take This Hammer’. Selon Noel, “C’était une démo qui traînait dans le studio ; tout le monde l’avait oubliée.  Tout ce qu’on avait pour commencer, c’était ce tout petit passage, avec un accompagnement de batterie et un couplet. On a travaillé dessus, et on l’a expédiée en une nuit.”
“Ça aurait été plus facile, et plus évident, de mettre une chanson tonique à la fin de l’album. Quand j’entends ‘Soldier On,’ j’imagine un mec avec une putain de grosse corde et un bloc de béton sur le dos: comme si quelqu’un lui avait dit, voilà – c’est ton bagage, porte-le toute ta vie. C’est pour ça que c’est la dernière sur l’album. J’aime vraiment beaucoup cette chanson.”

En 2002, Oasis a sorti Heathen Chemistry, dont Noel dit, “Je pensais que ça ne nous amenait qu’à un tiers du chemin à parcourir jusqu’à l’endroit où on voulait aller avec ce groupe. Je pense que Don’t Believe The Truth  nous a conduit à la moitié du chemin, et que Dig Out Your Soul nous amène à l’endroit où on est vraiment à l’aise, à la fois les uns avec les autres et là où on se trouve. Il n’est plus nécessaire d’écrire des chansons pop orthodoxes. On écrit juste ce qu’on aime et on fait ce qu’on fait. Parce qu’arrivé à un certain stade, tu t’assois et tu te dis: bon, pourquoi fait-on ça? Réponse:  parce que j’adore ça, putain. Est-ce que je préférerais faire autre chose? Non.”

Avec Dig Out Your Soul, Oasis a enregistré son album le plus audacieux, ambitieux et varié de tous les temps. Et le groupe a simplement mis la barre douze crans plus haut.


Robert Chalmers
Mai 2008