En concert le 20 mars aux Etoiles

Beaumont, dans l’Est du Texas, est une ville de pétrole. L’or noir y a été découvert en 1901 et sa population a alors triplé en un an. Elle est située près de la frontière de l’État avec la Louisiane, à l’intérieur des terres, à une demi-heure de la côte du Golfe et de ses vastes étendues de sable doré. Parmi les personnalités originaires de Beaumont, on trouve beaucoup de JR Ewing d’aujourd’hui, mais aussi Larry Graham, l’inventeur de la basse slappée, Blind Willie Johnson, le célèbre bluesman, et The Big Bopper, le chanteur des fifties au destin tragique – et maintenant, les rockers festifs de Purple.

Ne soyez pas découragés par cette étiquette : c’est une fête à laquelle vous aurez envie d’être. Purple : trois écoliers marginaux, narquois, qui ont grandi pour devenir le gang le plus cool d’une ville qui assèche les ambitions culturelles comme elle épuise le pétrole texan. La moitié de leurs amis ont fini dans ses raffineries. Certains ne l’ont pas supporté ; certains ont mis fin à leurs jours. Est-ce que nos jeunes héros allaient laisser leurs vies suivre le même cours ? Sûrement pas. Purple a choisi autre chose. Purple a choisi de faire la fête.

« Beaumont est une petite ville », dit la batteuse/chanteuse Hanna Brewer, qui cite Mitch Mitchell et Dave Grohl comme ses premières influences. « Elle est très religieuse, avec une église à chaque coin de rue. On y trouve beaucoup de chrétiens vraiment méchants et beaucoup de vaches, et la seule musique rock ‘n roll que les gens semblent apprécier, c’est Stevie Ray Vaughan. C’est très sudiste, mec. Les seules personnes avec lesquelles je pouvais vraiment jouer, c’était cette famille de Mormons, et on lisait des partitions. Ils ne m’ont jamais jugé, cela dit. J’ai grandi à côté, à Vidor, également au Texas, et là-bas tout le monde a vraiment des préjugés. Le racisme est énorme. Même à l’école, parmi les enseignants, l’attitude c’était : ‘si c’est pas blanc, c’est pas bien’. Sérieusement. C’est un désastre ! Et quand je les défiais, ils se contentaient de faire ‘ferme-là, espèce de petite hippie’. J’étais donc la gamine que tous les parents recommandaient d’éviter. Je fumais de l’herbe, mais vu la façon dont on me traitait, ça aurait aussi bien pu être du crack... »

Tout a commencé quand la formation du guitariste Busby, qui jouait alors du reggae, a partagé une scène au printemps 2009 avec un groupe dans lequel Hanna Brewer tenait la basse. Ils ont décidé qu’ils pouvaient mieux faire. Beaucoup mieux. Hanna est passée à la batterie et au chant, et son ami de toujours, Smitty Smith, les a rejoints à la basse un an plus tard. Les trois musiciens ont rapidement noué des liens grâce à leur amour commun des Pixies, des Yeah Yeah Yeahs, de la country, du rap, du reggae, de la bière, de l’herbe, de la plage et d’un certain sens de l’aventure. Purple était né.

« J’ai gardé une telle colère enfouie en moi pendant tant d’années, jusqu’à ce que j’obtienne enfin mon bac et que je commence à beaucoup plus faire la fête et à me déchainer sur la musique, » dit Hanna. « Et c’est ça qui caractérise Purple. Tu ne peux pas savoir le nombre de fois où j’ai entendu ‘Hé, tu joues plutôt bien de la batterie... pour une fille’. C’est cette phrase : ‘pour une fille’. Ça ne me rend pas dingue, pourtant ; c’est marrant. Ça me donne juste envie d’être encore plus agressive que les mecs. La colère peut être une grande source d’inspiration. »

Purple joue de la pop music. Une pop bordélique, crade, tapageuse, qui crache de la poussière et avale de la tequila. Ils ne s’excusent pas pour ça. Ils ont comme ça toute une série de morceaux qui pètent la forme, aux mélodies urgentes, remplis de grognements indie-punk, mais emmenés par des grooves suffisamment profonds pour rivaliser avec n’importe quel classique hip-hop. Ils kidnappent la pop et l’entraînent loin du monde des vocoders, des chorégraphies racoleuses et des aguicheuses idiotes, et la ramènent là où elle devrait être : à la plage, dans une fête, dansant sur la table de ce bar dans lequel, pour entrer, il faut une fausse carte d’identité. Ils aiment se mettre à nu et jouer jusqu’à ce qu’ils saignent. Tout ceci a eu de belles conséquences : un énorme public local, deux managers et des tournées interminables.

(409), c’est l’indicatif téléphonique de leur coin de l’Est du Texas, et le nom du premier album de Purple produit par Chris « Frenchie » Smith (Trail Of Dead, Jet). Enregistré à El Paso, (409) est un album qui trouve son origine dans des jams sans fin et dans une profusion de concerts explosifs et festifs. Des instruments y sont maltraités et des musiciens s’y jettent dans la foule ; ces concerts évoquent l’abandon sauvage des White Stripes des débuts. « Nous sommes des gens positifs, » dit Busby en haussant les épaules. « Nous cherchons toujours une fête quelque part. Ou peut-être sommes-nous cette fête. »

La pop est présente dans l’éclatant « Beach Buddy », influencé par le garage sixties, propulsé par le chant d’une fille et d’un garçon en duo et par la même joie de vivre d’un été sans fin des Ramones, des Black Lips et de Weezer . Le refrain vous pénètre en profondeur. Même chose sur « Wallflower », une chanson joyeusement entraînante, qui renverse le scénario habituel et voit une fille poursuivre un admirateur avec ardeur – certains diraient avec agressivité – à travers les bouteilles renversées, les cendriers qui débordent et les restes éparpillés d’une fête : « I’m a girl – you’re supposed to be chasing me! » [Je suis une fille – tu es censé me poursuivre !] Avec quelques touches distinctives rappelant Bikini Kill et No Doubt, c’est la meilleure chanson de femme-punk qu’on ait entendue depuis une éternité. « Head On The Floor », de son côté, est une chanson proto-grunge gorgée de soul, qui balance comme le Hole des débuts.

(409) est assurément un album qui a du sable dans ses chaussures et une fusée dans le cul. Il vous transporte dans un endroit meilleur. Écouter Purple accélère votre pouls. Vous donne des suées. Vous fait attraper une bière bien fraîche. Et puis une autre. Et puis dix autres. Elles vous font vous sentir vivant. C’est bon pour vous.